“Shazam !”, la pièce culte de Philippe Decouflé réinventée à La Villette
Shazam ! créée en 1998 est reconstituée à La Villette. La structure initiale est maintenue mais de façon plus resserrée avec des danseurs, des musiciens et des techniciens de l’année de création. Shazam ! a été une des premières pièces conçues avec de la vidéo. La pièce offre des jeux sur le mouvement par l’image, les miroirs, les reflets.
Cette nouvelle version de Shazam ! est dédiée à l’ami et complice de Philippe Decouflé, Christophe Salengro (1953-2018) qui était un des danseurs de la Compagnie DCA, également connu pour son rôle de Président dans la série de Canal + Groland, et à Jean-Pierre Le Cornoux et Belle du Berry, musicien et chanteuse.
Démiurge de la scène
Shazam ! est un hommage au cinéma avec des séquences de films, des anecdotes sur les frères Lumière. Le cinéma est une des passions de Decouflé. Il avait dirigé en 1997 la Cérémonie du cinquantième anniversaire du Festival de Cannes. Il est venu à la danse par les boîtes de nuit. Il a vingt ans en 1981, c’est l’époque du Palace et des Bains Douches. À l’adolescence, il est formé au mime, puis à une école du cirque. Par la suite, il étudiera la danse et aussi la vidéo à New York avec Merce Cunningham. En 1992, les Cérémonies des Jeux Olympiques d’Albertville le rendent célèbre.
Pour la réédition de Shazam !, l’accueil reste festif. Pendant que les spectateurs de tous âges – il y a de nombreux enfants – s’installent, la fanfare avec ses hommes-majorettes défilent à La Villette jusque sur le plateau où se trouve la robe dentelée blanche devenue iconique. Tambours, sifflets, baguettes qui voltigent, c’est parti pour une pièce à la fois superbe, drôle et touchante. Decouflé en démiurge de la scène assemble différentes disciplines : théâtre, danse, cirque, images, cinéma… La pièce est ludique, poétique avec une importante dimension visuelle.
La moyenne d’âge des danseurs est désormais de cinquante ans mais sur les écrans, ce sont de jeunes corps qui sont en mouvement. Comme en 1998, Decouflé vient annoncer que le spectacle n’est pas fini, c’est un étrange écho à cette annonce faite il y a vingt-quatre ans.
La compagnie DCA dirigée par le chorégraphe ne constitue pas de répertoire, les pièces ne sont pas rejouées. En 2019, au Théâtre de Chaillot, Tout doit disparaître reprenait les extraits d’une quinzaine de pièces de Decouflé dont Shazam ! L’entrain, la fluidité des musiques ont convaincu pour une reconduite de l’expérience mais dans une reconstitution intégrale.
Deux espaces pour deux temporalités
Dans Shazam 2.0.2.1, les danseurs sur le plateau reproduisent les mouvements des différents tableaux. Le rapport à l’image est troublant car sur les écrans suspendus sont projetés les films en 16 millimètres des mêmes danseurs, filmés en 1997-1998. La technicité est toujours maîtrisée et c’est nécessaire car les chorégraphies de Decouflé sont assez acrobatiques. Certains mouvements paraissent plus appliqués, notamment les portées de corps.
Les effets de miroir se succèdent avec des glaces, des cadres, des vidéos et les personnages se démultiplient, se retrouvent. Un des plus beaux solos est interprété par Alexandra Naudet – elle est rapidement accompagnée par d’autres danseurs – sur la voix de la chanteuse éthiopienne Aster Aweke. C’est le seul extrait musical enregistré. Le chorégraphe avait eu un coup de cœur pour cette voix envoûtante. La magie est toujours là, mais certainement plus intense. Alexandra Naudet a conservé son allure et sa grâce. Sur l’écran, apparaît le film en 35 millimètres tourné il y a vingt-cinq ans à La Chaufferie à Saint-Denis où est basée la compagnie. La danseuse réalise un travail sur deux espaces et donc deux temporalités.
La comédienne et chanteuse Manon Andersen remplace Christophe Salengro. Elle a déjà collaboré avec Decouflé. Cette fois, elle danse et elle a su relever avec brio ce défi artistique.
La pièce met en parallèle et mêle les espaces et les périodes dans une dynamique constamment renouvelée où tout se transforme. Shazam 2.0.2.1 qui évoque ce qu’est la création d’un spectacle restitue des chorégraphies, des saynètes restées presque intactes.
Il y a de nombreuses facéties, de la joie, un aspect festif avec des sonorités de fêtes foraines même si la musique jouée sur scène est plutôt jazzy et musiques du monde. Les chorégraphies sont extraordinaires avec cette montée en colonne – des corps en équilibre se maintiennent par les têtes des danseurs. Était-ce en 1998 ou sur la scène de La Villette ? On ne sait plus.
Par ces mises en abyme, ils sont tous là – sauf certaines personnes qui ont compté – et ils semblent à peine surpris. Il y a de la fraîcheur, de la tendresse. Avec les années, la pièce devient expérience et gagne en richesse.
Fatma Alilate
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